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Tu as toujours rêvé d’être libre ....

mardi 7 juin 2011, par Christiane Chyderiotis

Chloé B.

Tu as toujours rêvé d’être libre, libre comme… un oiseau. Mais attention, pas n’importe quelle créature dotée d’ailes, un véritable oiseau. Pas un vulgaire animal de basse-cour, condamné à agiter vainement ses appendices de plumes grossières − peut-on vraiment nommer cela des ailes ? − sans parvenir à soulever son corps trop lourd pour l’envol.

Non, un être noble et délicat, un être qui déploierait ses fines ailes pour s’envoler vers de nouveaux horizons. Une simple petite mésange te suffirait, tu n’as nul besoin de la parure multicolore d’un ara, ou des atours d’un majestueux paon.

Actuellement, tu dirais que tu te situes au niveau du canari. Certes dotée d’ailes, mais en cage. Emprisonnée. Atrophiées, les ailes !
Tu voudrais suivre ton instinct, quitter ta place, te démarquer des autres. Bouleverser l’ordre établi, les codes tacites qui dirigent ton monde. Tu ne peux pas. Tu te caches derrière les barreaux de ta cage, qu’ils prennent la forme de tes paroles, tes actes ou ta façon d’être. Tu te protèges. Contre quoi ? L’ennemi, c’est l’homme, l’ennemi, c’est toi. Tu t’es cloîtrée dans ta forteresse d’illusions par crainte des autres, mais aussi par crainte de toi-même.

Tu as peur de tes réactions, peur d’être trop sauvage, peur de ta peur même. Tu n’es pas naturelle, pas sincère, tu te mens, et tu mens aux autres aussi.

Bien sûr, tu n’es pas totalement isolée, tu n’es pas une malheureuse créature farouche et esseulée en quête de quelque compagnie. Tu as, Dieu merci, un petit cercle d’amis avec qui tu t’entends bien. Il t’arrive de te demander ce que tu ferais sans eux ; c’est sans doute pour ça que tu appréhendes tant ton passage en Seconde. Que deviendrait le faible oiseau, privé de la lumière qui filtre à travers les barreaux de sa cage ?

Tes parents, sans hésiter, tu les aimes. Pourquoi en serait-il autrement ? Tu leur dois tout, à commencer par l’existence, ce qui n’est tout de même pas négligeable.
Bien qu’ils t’énervent, n’est-ce pas le propre des parents ? Ils doivent te contraindre à accomplir des tâches contre ton gré, c’est leur rôle. Quant à toi, tu obéis, tu fuis le conflit, quitte à être te sentir opprimée. Il est tellement plus simple d’éviter les confrontations, en se contentant de suivre ces ordres, parfois dénués de sens, plutôt que de s’épuiser à contester les directives.
Et puisque tu aimes tes parents, puisque tu te complais dans la docilité et l’obéissance, tu ne peux les décevoir. Il te faut sans cesse leur prouver ta valeur, de par tes actes, tes paroles, et, plus encore, de par tes résultats scolaires. Tu travailles avant tout pour toi, pour assurer ton avenir, on te l’a tant répété ! Mais tu t’appliques à ne ramener que des bonnes notes à la maison pour demeurer en bonne place dans l’estime de tes parents.

Si tu leur as autrefois reproché des choses, dans leur façon de t’éduquer, trop stricte à ton goût comparée à celle de tes camarades, tu les bénis aujourd’hui pour leur rigueur, lorsque tu vois à quel point ton éducation te favorise, dans divers domaines.
Après tout, tu ne vas pas blâmer tes parents, ce sont eux qui t’offrent le gîte, le couvert, et te fournissent les ressources nécessaires à tes dépenses dérisoires. L’oiseau est dépendant de son geôlier.

Au collège, comme à la maison, tu préfères rester discrète, là aussi par choix de facilité. Pas d’affrontement avec les autres, tu te plies aux consignes, tu travailles, c’est tout. Et lorsqu’il t’arrive de te faire réprimander pour quelque broutille – certains enseignants sont si pointilleux ! −, tu t’effaces, tu te courbes devant l’autorité.

On t’a toujours dit qu’à l’adolescence, tu allais changer, physiquement et mentalement, et cela s’est avéré vrai. Tu as l’impression d’être plongée dans un tourbillon. Tu ne sais plus quels sont tes sentiments, tu as perdu tous tes repères.
Parfois cependant, tu te libères, non pas de l’emprise des autres, mais de ta propre emprise, celle que tu exerces sur toi-même. Tu brises tes propres limites, que tu t’es toi-même imposées. Cela te conduit à des actes que tu regrettes ensuite, de déplorables débordements sentimentaux, des paroles malheureuses ; tes instincts sauvages ressurgissent. Du fond de ton inconscient, ils tentent de se faire entendre, par-dessus la voix calme et placide de ta part domestique.

Malgré tous les problèmes que tu t’attires quand tu es sous l’influence de ta part libre et indomptée, tu ne peux t’empêcher de, au moment où elle se retire, te sentir vide, et lasse de ta vie quotidienne. Tu patientes, secrètement, dans l’attente de sa prochaine manifestation.

L’oiseau déploie ses ailes, et attend que la porte de la cage s’ouvre enfin.

Messages

  • Chloé insiste beaucoup sur sa part domestique, elle montre avec beaucoup de finesse qu’elle aime et en même temps qu’elle n’aime pas cette part d’elle-même. On attendrait quelques précisions sur sa part sauvage. Chloé y fait allusion à la fin du texte, elle parle d’"actes" qu’elle "regrette ensuite" mais elle n’en dit pas plus. On a l’impression qu’il y a ici une retenue, quelque chose qui n’est pas dit, une gêne. Et quand on écrit, on est obligé d’aller aussi là où ça gêne et d’accepter de dire des choses qu’on a l’habitude de taire !

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