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Jean-Louis Chrétien, La joie spacieuse

vendredi 23 mars 2012, par Nicolas Bernard

« D’un cadavre, on peut faire le tour. Lorsqu"il gît par terre, des policiers parfois en dessinent à la craie le périmètre. Mais, d’un corps vivant, il est difficile de dire où il se termine (…) On sait bien que dans son corps on se sent tantôt à l’aise, comme dans un vieux pull en laine oversize, et tantôt à l’étroit, comme dans une veste aux manches trop courtes. C’est que le corps est mobile et élastique, et n’a point de bords fixes. La cause ne tient pas à la peau qui, magiquement, s’étendrait ou se rétrécirait, mais aux états d’âme qui aèrent ou asphyxient tout l’être. Vexé, méprisé, humilié, terrorisé, endeuillé, on se fait tout petit, on voudrait n’être plus qu’un os, on voudrait disparaître. Mais, s’il arrive un sourire, une bonne nouvelle, un événement heureux, alors on devient plus grand que le monde, on est un océan, une immensité astrale - on “déborde de joie”, comme on dit (…)
Quand on a le “cœur gros”, que quelque chose semble le serrer, on est au bord des larmes. Mais lorsque le cœur “se dilate”, toute l’existence paraît prendre une autre dimension. “Notre respiration se fait plus ample, notre corps, l’instant d’avant replié sur lui-même, n’occupant que sa place ou son coin, tout à coup se redresse et vibre de mobilité, nous voudrions sauter, bondir, courir, danser, car nous sommes plus vifs dans un plus vaste espace, et le défilé resserré de notre gorge devient le gué du cri, du chant ou du rire déployé.” Que salue cette “dilatation du cœur” ? La venue de la joie, de la simple et pure joie, dont le caractère est d’être toujours “enfantine”, parce que innocente, imprévue, destinée à disparaître mais incapable de vieillir –
l’avenue que la joie ouvre dans l’être tout entier, modifiant et oxygénant son rapport au monde, son rapport aux autres, son rapport à soi, le rendant “plus large, plus vivant, plus fort”(…)
Les variations autour de la “haute parole” de ceux qui ont su décrire l’épreuve de la joie permettent à Jean-Louis Chrétien d’esquisser, bien au-delà d’une “physique des corps”, une métaphysique de la présence, d’une présence douce, où s’entend, susurré plus que proclamé, l’éloge de l’Ouvert – où les hommes, plutôt que de s’imposer ou d’en imposer, de n’être soucieux que de leur force, de ne songer qu’à étendre leurs pouvoirs, auraient la “faiblesse” de porter attention au monde et à autrui, d’être réceptif à leurs promesses, de s’étendre par cette “dilatation du cœur” qui ne se réalise aux dépens de personne, qui n’ôte de place à personne et qui fait accueillir chaque matin comme une matinée de printemps. » (Libération)
Jean-Louis Chrétien, La joie spacieuse (Éditions de Minuit, 2007) (259 p.)

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